Dalla Zuanna - Les enfants de la Jeanne
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Chapitre III (1542 - 1652)

"Grâce à eux, je sais qui je suis."
Pierre Bachelet

Gio Batta, Gio Antonio, Giovanni

 

C'est en 1542 que naît, Gio Batta (6) qui est le sixième des sept enfants de Mattio, le riche propriétaire de terrains. Comme son père, il aura deux épouses successives. On ne sait absolument rien de la première qui partagera en fait l'essentiel de son existence, ni son nom, ni son âge, ni la date de leur mariage ; il semble qu'elle soit décédée en 1594.

Gio Batta se remarie le 15 juin 1595, peu de temps après le décès de sa première épouse, avec Bortola Rodighiero venue d'Asiago. Et pourtant, les dictons locaux insistant sur l'intérêt de prendre femme au village sont nombreux et Asiago, c'est l'étranger !

Il a 53 ans et va mourir cinq ans après. De sa première épouse, il aura cinq enfants relativement tard (le premier à 33 ans) : Matteo, en 1575, suivi deux ans après par Maria, puis Gio Antonio suivi d'une deuxième petite Maria qui viendra remplacer la première décédée entre temps. Il y aura également un Giovanni dont on ne sait rien. Les deux garçons vont atteindre respectivement l'âge de 48 et 49 ans.

Il va connaître une vie plutôt parsemée d'épines que de pétales de roses (cf. la devise de Pigafetta), mais n'était-ce pas le lot commun ? L'ambiance lors de sa naissance est faite de violences locales et territoriales. Les conflits locaux sont nombreux, les forces centrifuges entre Solagna et San Nazario s'accroissent en permanence, tant pour des raisons religieuses que d'exploitation du territoire, et la richesse de Venise paraît s'arrêter aux portes de la vallée.

 

1556 - La villa Barbaro à Maser.

Un splendide exemple de cette richesse se trouve à Maser, petit village à 18 km à l'est de Bassano sur le piémont du Grappa. Une richissime famille (les Barbaro) comme il y en a tant à Venise, va faire édifier par un architecte, dont le talent, pour ne pas dire le génie, acquiert une renommée mondiale, une villa de rêve. Nous sommes en 1556 et Andrea Palladio va insérer cette villa dans le paysage comme un bijou dans son écrin. Originale, élégante et légère, elle fascine dès le premier regard, nulle ostentation, c'est une merveille de grâce et d'harmonie. Pour la décorer, le mot sonne étrangement faible et mal adapté, on fait appel à Paolo Véronèse, excusez du peu. Mais, une seule image vaut mieux qu'un long discours (voir ci-après).

Il y a fort à parier que Gio Batta ne l'a même jamais vue. Mais, si grand luxe et misère profonde cohabitent, au moins nous reste-t-il du beau pour rêver. La beauté a bravé les siècles.

A tout le moins, les habitants de San Nazario souhaitent fortement être réconfortés sur le plan religieux. En l'an de grâce 1557, ils vont assumer, en douce, un prêtre car ils se sentent délaissés par celui de Solagna qui "prend les sous" mais ne s'occupe pas d'eux. Le prêtre avait une fonction religieuse et de soutien moral, certes, mais il devait également assurer l'instruction des enfants, le soutien aux vieux et aux malades.

Pour fêter ses 17 ans, Gio Batta fait connaissance avec la famine qui s'abat sur la région, mais cela n'est pas fini. Pour ses 21 ans, une autre famine ravage la contrée et son demi-frère, Zuan Antonio accompagné d'un Mocellin, est chargé par la commune de l'achat de céréales en hypothéquant, si nécessaire, les biens communaux. Lui même se verra confier des responsabilités dans le cadre communal. Il faut que la situation soit vraiment grave pour en arriver à de telles extrémités.

 

Villa Barbaro à Maser

Villa Barbaro à Maser

 

Les conflits dûs à l'exploitation des bois continuent et, en 1570, Solagna, endettée, essaie discrètement de vendre le "val delle ore" situé sur le territoire qui, historiquement, appartient à San Nazario.

Le 20 juin 1570 (cf. acte), les trois derniers frères, dont Gio Batta, se répartissent les biens familiaux et chacun aura une maison (étaient-ils restés dans l'indivision ?). On ne retrouve pas Gio Batta dans la liste des bouviers où figurent son frère Gio Bono et plusieurs cousins en 1563, peut-être vivait-il de l'exploitation des terrains familiaux.

 

1571 - Les effets locaux du Concile de Trente.

En 1571, apparaissent concrètement dans le village les premiers effets bénéfiques du concile de Trente. Un suivi plus sérieux du clergé sur le terrain se dessine et San Nazario sera honoré, pour la première fois, par la visite de son évêque.

Le curé de Solagna, qui avait été nommé par Venise en 1554, est suspendu par l'évêque de Padoue pour concubinage, superstition et... magie, "O tempora ! O mores !". A l'époque, les curés étaient fréquemment nommés parmi les élèves de l'université de Padoue qui accueillait des élèves venant du monde entier.

Le 7 octobre de cette même année, l'évêque avec tous les paroissiens de Solagna sont agenouillés aux pieds de Sainte Giustina afin d'implorer le Seigneur pour qu'il accorde la victoire aux Vénitiens engagés dans la terrible bataille navale de Lépante contre les Turcs. Ils sont entendus et cette victoire sera considérée comme une revanche en mémoire des suppliciés de Famagouste (Chypre).

Le 31 août 1571, Bono, le frère de Gio Batta, se sentant gravement malade fait son testament. Il lègue tous ses biens à sa mère pour sa vie durant et, au décès de celle-ci, à son dernier frère Sebastiano. Ce testament sera annulé le 11 janvier 1590, soit dix-neuf ans après, par les deux frères. Bono avait donc eu peur pour rien...

 

1576 -Année maudite.

Entre la naissance de son premier fils, Matteo et celle de sa première fille Maria, se situe l'année maudite : 1576. Il a 34 ans et c'est l'arrivée de la peste qui va de surcroît déclencher une nouvelle famine. Les lazarets débordent et l'insécurité augmente, on peine à trouver des croque-morts.

Comme si ce n'était pas suffisant, un horrible drame endeuille la famille. Ses deux frères, Gio Pietro et Domenico, seront tués lors d'une rixe avec Gaspare Gheno. On ne connaît pas les raisons d'un conflit aussi violent mais, lors de la "paix" signée le 13 juillet devant notaire, la caution réciproque est fixée à 200 ducats, montant énorme pour l'époque. Cela montre, à l'évidence, que malgré une "paix bonne, vraie, sincère et les pardons allant avec" il fallait un gros extincteur pour éteindre toute reprise possible du conflit. Et pourtant, en 1632, le feu va reprendre ! La braise aurait-elle couvé si longtemps sous la cendre ?

On mesure de façon terriblement concrète l'atmosphère de violence régnant à cette époque... Cette même année, le 25 juillet, une expédition punitive organisée par onze habitants de Valstagna contre des villageois de Sasso, et trouvant sa source dans des conflits de territorialité, engendre des confrontations sanglantes.

La justice pour faire avouer certains belligérants pratiquera la torture dite "de la corde". On attache les poignets du prévenu dans son dos et, par ses poignets, on le suspend au plafond...

 

1580 - Le Covolo de Butistone.

Le 24 juin 1578, naissance de Gio Antonio (7) ! Suivie 3 ans après de l'arrivée d'une deuxième Maria, venue probablement prendre la place de la première décédée très jeune.

Toute sa jeunesse sera marquée par les tensions et conflits liés à la "frontière" du Covolo de Butistone et, notamment, par la "maudite chaîne" placée en travers du Brenta en 1580.

Plus tard, en 1611, l'édification d'un mur par les Autrichiens à la partie inférieure du château, provoquera un renouveau d'exaspération se traduisant par une expédition nocturne de démolition.

Pour être à l'abri des mauvaises surprises la nuit, les soldats montaient dans la partie supérieure du château grâce à un système de monte-charge hissé à la force du poignet ! (très visible dans l'illustration qui suit).

On connaît, en 1565, les critères de recrutement du capitaine du Covolo : il doit parler allemand et italien, savoir lire et écrire, être un expert dans l'art militaire et bien sûr... être de race allemande.

Fortement présent dans le paysage avec sa gueule de squale il sera présent dans l'histoire de la vallée tout au long des siècles.

Les cousins, au deuxième degré, de Gio Antonio, Giulio et Bono sont enregistrés comme boari , en 1580. Ils appartiennent toujours à cette confrérie qui était celle de leur grand-père Battista et de son frère Mattio, en 1496.

Le 15 décembre de 1585, Battista fils de Zuan Antonio, donc cousin direct de Gio Antonio est "testibus rogatis" dans l'acte de la fondation de la confraternité Saint Antoine de Valstagna.

 

Photo tirée du livre de Pius Wassermann :
"20 dessins de châteaux et cités Tyroliennes"
par Mathias Burgklechner,
première moitié du XVI ème siècle.


Pius Wassermann, châteaux et cités Tyroliennes

 

1587 - Les procès contre les animaux.

En 1587, un étrange procès a lieu à Saint Julien de Maurienne, au cœur de notre région alpine française, qui nous donne un éclairage particulier sur cette époque et plus particulièrement sur les rapports de l'homme à la nature et au divin (étude de Léon Ménabréa citée dans "Les chemins du baroque"). Les habitants de la paroisse, la commune n'existe pas, intentent un procès contre les amblevins qui dévorent leurs récoltes. Les amblevins ne sont pas comme on pourrait le penser, des voisins indélicats mais des insectes (qu’on imagine facilement de type criquet). A l'avocat, nommé pour défendre les insectes, les habitants suggèrent qu'ils pourraient aller exercer leurs ravages en d'autres lieux moins gênants pour eux. L'avocat refuse cette suggestion et on ne connaît pas l'issue de ce procès, les documents de l'époque n'ayant pas résisté à l'usure du temps.

Ce type de procès contre les animaux, courant depuis le moyen âge, semble révélateur de l'état d'esprit de nos ancêtres. L'homme se considérait, comme les autres espèces présentes sur terre, soumis à la même volonté divine dont il craignait la justice immanente pouvant se manifester par des fléaux tombés tout droit du ciel.

En mars 1588, Gio Bono (qui avait déjà fait un testament le 31 août 1571 au profit de Sebastiano avec usufruit pour sa mère, testament annulé ensuite car elle a dû mourir entre-temps) établit un nouveau testament. Il transmet ses biens à ses deux frères, Gio Batta et Sebastiano. Ce testament est intéressant car, par une disposition de fidéicommis, on peut transmettre des biens à une personne qui devra les transmettre à sa mort à des personnes désignées. Il s'agit, en l'occurrence, de transmettre les terres à des petits enfants ou neveux (mâles) afin d'éviter que, par mariage, elles ne sortent de la famille. Il va de soi que son épouse bénéficiera de l'usufruit sa vie durant, pour autant qu'elle demeure chaste, honnête et qu'elle fasse dire, pendant dix ans, cinq messes par an à sa mémoire. Si elle venait à se remarier, elle ne conserverait que sa dot. Quatre cierges vont à l'Eglise dont deux seront réservés au curé pour les funérailles...

Bono, porté par la corporation des boari , est élu sindaco , en 1588 ; sans doute est-il à la hauteur de sa fonction car il sera réélu deux fois, en 1592 et 1599. Cette puissante association avait des droits exclusifs de transport sur son territoire avec des fortes amendes pour les contrevenants (50 ducats en 1638 !).

 

1591 - Viva la polenta.

Cette année, se produit un événement important qui passe inaperçu mais aura des conséquences durables (tant il est vrai que le développement durable n'est pas toujours programmé par des esprits supérieurs !). Le "grano turco" ou "fromenton" arrive des Amériques via le Portugal et Venise. C'est le maïs, qui donne la célèbre polenta et va jouer un rôle considérable dans l'alimentation en Italie du Nord. Originaire initialement de méso-Amérique, domestiqué 3 500 ans avant notre ère, il aura mis plus de 5 000 ans pour s'adapter et venir jusqu'en Vénétie. Il est mentionné au monastère Ste Madeleine de Oderzo (Dominicaines). Comme souvent, des communautés religieuses vont expérimenter les produits agricoles nouveaux et leur transformation (cf. la légende sur l'arrivée du tabac).

Alfred de Musset, dans son livre "A mon frère revenant d'Italie", publié en 1830, donne ses lettres de noblesse à la polenta : "mais j'aime mieux la polenta qu'on mange au bord de la Brenta sous une treille".

Gio Antonio, qui a 23 ans, se marie avec Elisabetta et neuf mois après... c'est l'arrivée du premier enfant. Il lui donnera le nom de son père, Gio Batta décédé peu avant leur mariage. L'année suivante est marquée par la venue de Maddalena suivie par celle de Giovanni.

Le climat ne s'améliore guère : en 1606, les premières milices sont créées à Valstagna qui fournira les premiers 150 "soldats" de la vallée pour mise à disposition de la "Sérénissime".

Les premiers effets de la perte de pouvoir de la Sérénissime commencent à se faire sentir, y compris dans la vallée qui sera affectée par la concurrence venue des mers du Nord. L'activité de transport par les bouviers décline et la vie devient chaque jour un peu plus préoccupante. Augmenter les prix, comme cela sera pratiqué en 1610, ne résout pas les problèmes !

Bernardino vient agrandir la famille en 1607, année où arrivent les ordres de Venise de cesser toutes livraisons de farine pour le Covolo . Malheureusement l'année suivante, sa sœur Maddalena meurt, laissant sa place à une autre sœur, avec le même prénom, qui naîtra en janvier 1610.

Puis, en 1612, une petite Margherita vient pour quelques mois compléter la famille mais la mortalité infantile était telle à l'époque qu'elle sera remplacée par une nouvelle Margherita en 1613. Signe des temps, pour économiser les faibles moyens disponibles, on a plus facilement recours au vétérinaire pour soigner une vache qu'au médecin pour soigner sa famille.

 

1612 - San Nazario prend son envol religieux.

L'histoire du village est marquée par la mort du curé, Don Sguario. Il a toujours lutté de toutes ses forces pour éviter la séparation entre Solagna et San Nazario qu'il considérait comme une amputation douloureuse et injustifiée de la communauté d'origine. Mais le feu couve depuis trop longtemps (XIV ème siècle !). Il n'aura réussi qu'à retarder cette évolution. Il faut bien reconnaître que ce village, étiré le long du Brenta, ne facilite pas la vie collective comme dans un bourg regroupé autour d'un centre historique et indiscutable. La répartition des charges financières ne va pas, non plus, de soi. D'ailleurs, beaucoup plus tard, San Nazario rencontrera le même problème de tendance à l'autonomie de la part de Carpanè, au Nord de la commune.

Il faudra encore attendre 72 ans pour que la séparation civile suive la séparation religieuse et cela laissera des traces dans les esprits durant plusieurs siècles. Ayant une mère de Solagna et un père de San Nazario, j'ai parfaitement pu me rendre compte de cette rémanence ! Il ne s'agit pas d'un problème spécifique à ces deux villages mais étendu à la vallée, héritage en partie de la géographie...

La démocratie directe était à l'œuvre avec les réunions des chefs de famille pour toute décision concernant la collectivité. Encore fallait-il que cette collectivité soit cohérente car, par exemple, la gestion des bois communaux revêtait une importance extrême surtout pour les pauvres et ils étaient si nombreux.

Le principal objectif de cette autonomie était que San Nazario dispose de son propre curé, l'église de San Nazario ayant déjà dû être agrandie lors des négociations préalables à cette décision. Il y eut donc les réunions nécessaires pour retenir la "candidature" la plus adaptée et, le 28 octobre, lors d'une élection "à toutes balles" (origine de ballotage !), c'est-à-dire à l'unanimité, nommer le premier curé de San Nazario. Bien sûr, l'évêque avait, préalablement, donné son accord sur les différents candidats mais, la prudence régnant, un CDD de 5 ans liait le prêtre à sa paroisse qui, outre les droits et devoirs, laissait à cette dernière la possibilité totale de mettre fin à ce contrat avant terme... Ce système va perdurer jusqu'au XX ème siècle. Ainsi donc notre petite Margherita, née un an après, sera la première de la lignée à être née à San Nazario.

Les rivalités de clocher existaient déjà et il est clairement stipulé dans les accords que San Nazario n'aura pas le droit de sonner les cloches avant Solagna !

Entre temps, le 15 octobre 1605, naissance du petit Giovanni (8) élevé avec ses frères, sœurs et cousins ; il voit mourir ses sœurs Maddalena et Margarita. Pour ses 13 ans, le 18 novembre 1618, il va avec étonnement et une extrême curiosité observer dans le ciel de la vallée une comète, qui avec un long sillage argenté, laisse les "grands" pensifs et inquiets sur les présages d'un futur plein de mystère. La connaissance, surtout par le "vulgum pecus", des phénomènes astronomiques est bien légère et il n´y a pas si longtemps que l´on a placé sur le bûcher quelques imprudents qui prétendaient savoir des choses sur ce brûlant sujet…

Les années se succèdent au rythme invariant des saisons et, à propos de saison, l´hiver 1624 apporte les vents du Nord chargés de froidure. Il gèle à pierre fendre, la nature, les animaux et les hommes se protègent au mieux avec leurs dérisoires moyens. Il ne viendrait à personne, à l´époque, l´idée d´incriminer l´action de l´homme dans ces phénomènes naturels, quelle prétention ! Non, on se tourne vers le tout puissant et on implore sa mansuétude. Les choses ont peut être un peu changé, il est vrai qu´avec les progrès de la science et de la météorologie… et puis, surtout, "le Très Haut" paraît à beaucoup, comme étant de plus en plus haut.

Giovanni a 21 ans, lorsque ses cousins, Francesco et Zuan Antonio, sont chargés en qualité de membres du comité paroissial, de reconfirmer chaque année le contrat du curé. Etrangement, on ne pense pas à défiler dans les rues du village pour dénoncer la précarité de l´emploi, il faudra attendre encore un peu.

Dure année que cette année 1627, Giovanni va perdre son père et le village doit fournir de la main d´œuvre pour construire un lazaret à Primolano. Quand on met en place un système de quarantaine, c´est que des horribles maladies annoncent leur venue dans la vallée.

Pour couronner le tout, le climat de violence reprend son cycle infernal (le mot trouve bien, ici, sa place). Les armes ont retrouvé droit de cité, on se déplace armé, on va à "l'osteria" armé, aux réunions du conseil municipal armé et, le comble, même pour rentrer à l´église on ne dépose pas les armes. Il est ainsi des périodes où les instincts balayent les principes !

Il faudra deux pendaisons à San Nazario pour qu´un semblant d´ordre réapparaisse.

 

1628 - La disette.

Faut-il lier les deux phénomènes ? L´année suivante, les récoltes sont dramatiquement faibles, les prix explosent et certains en sont réduits à manger de l´herbe. On peut ici se reporter aux remarquables descriptions de la situation relatée dans "Les Fiancés", sous la plume talentueuse d'Alessandro Manzoni, célèbre chef-d'œuvre de la littérature romantique italienne. Le lieu de l'action, en Lombardie, permet des comparaisons assez précises puisque par exemple, on y retrouve bien la famine de 1628 au cours de laquelle Venise ira jusqu'à acheter du grain aux Turcs. La révolte provoquée par l'augmentation exponentielle du prix du pain et les pillages de Milan illustrent bien la situation d'extrême pénurie régnant dans tout le Nord de la péninsule.

 

1630 - La peste de Saint Roch avec la guerre de succession de Mantoue.

En 1630, on pourrait se demander pourquoi Giovanni tarde à se marier puisqu´il a 25 ans. Or, en ces temps anciens et dans ces petits villages où tout le monde se connaît, on ne culbute pas les filles dans les ruisseaux et le mot même de contraception est inconnu. Il n´empêche, qu´on peut tout de même avoir le sang chaud. On se marie donc assez jeune ce qui résout bien des problèmes potentiels. Mais les vents ne sont pas favorables : après les disettes, les violences, arrive la peste de Saint Roch, le fléau des fléaux ! Les germes mortifères sont dans les bagages des occupants qui dévalent suite à la guerre de succession de Mantoue.

Cette guerre implique le Duc de Nevers et le Prince Espagnol de Guastala, tous deux héritiers à des titres divers de la succession du Duc de Gonzague avec bien sûr, chacun leurs alliés.

Les paroisses de Solagna et de San Nazario, bien que séparées depuis 18 ans, vont se réunir pour prier ensemble et cheminer en processions afin d´attirer l´attention du Seigneur sur leur sort misérable et implorer son pardon.

Cette peste est terrifiante, les lazarets sont pleins et il faut construire à la hâte de nouveaux cimetières. Outre les morts dues au bacille pesteux, il y a ceux qui meurent de faim, ceux qui se suicident. A nouveau, on recherche éperdument des "croquemorts".

Les zattieri qui reviennent de Padoue et de Bassano rapportent qu'on ne sait plus comment ramasser les cadavres dans les rues, ni où les ensevelir. Certains malades divaguent tout nus dans les rues et d'autres, pour refroidir leur corps enfiévrés, se jettent dans les puits ou les rivières. Bassano portera en terre 2 300 dépouilles ! Certains croyaient se protéger en brandissant devant tout nouveau venu de la menthe, de la rue, du romarin, voire une fiole de vinaigre. Le pire, dans le duché de Milan, attendait ceux qui étaient suspectés d'être des "oigneurs" avec leurs "vénéfices" et qui pouvaient être lapidés avant d'avoir pu ouvrir la bouche. Le mot "vénéfice" contractait l'alliance de vénéneux, venimeux et maléfices diaboliques. Cela se traduisait concrètement par des onguents supports du bacille pesteux comme, par exemple : poison, crapaud, serpent, bave et pus de pestiférés et toute autre substance répugnante.

Tout étranger était suspect et le moindre soupçon avait tôt fait de se transformer en preuve. Ils furent nombreux ceux qui, totalement innocents, furent dénoncés par la vindicte populaire, soumis à la question, roués ou pendus sur des gibets improvisés. Dieu allait-il reconnaître les siens ?

Au cœur de cette période, le 2 juin 1631, Francesco, fils de Giulio, participe à une délibération du conseil pour signer un manifeste de prières. Il est, au demeurant, chargé des finances de la paroisse.

Au cours de cette même année, on accuse les "Capello", riche famille vénitienne installée à Carpanè, de faire du trafic de céréales avec la Valsugana. Cet argent-là semblerait bien avoir une certaine odeur. Encore que… , en décembre 1632, il doit y avoir des "coups" à faire et ils achètent les quatre scies de Carpanè.

Les "Capello" n´améliorent pas leur image en poussant les habitants de ce hameau à se rebeller contre l´autorité communale, il y a probablement derrière une affaire d´impôts, mais ne portons pas de jugement tant les situations sont complexes. Ce quartier est très industrieux : on y trouvera plus tard des moulins, le travail de la laine et de la soie.

La gestion municipale n´est pas facile, c´est une litote, et le massaro , qui est élu par les chefs de famille, est responsable sur ses biens propres de la comptabilité communale. Cela suffit à expliquer une crise des vocations…

Par ailleurs, on constate, encore et toujours, des cas d´usurpation des biens communaux qui devraient normalement être mis à disposition des plus pauvres, avec des tricheries sur les limites, etc…

La location des terres communales est mise aux enchères tous les 5 ans et il y a malheureusement un livre des "malipaga".

La situation générale est telle, qu´on limite le nombre de chèvres par famille.

On signale de nombreux trafics pour éviter la quarantaine et on juge souvent par contumace. C´est finalement en janvier 1632 que la peste de Saint Roch ira ailleurs semer la terreur.

Devant une pareille punition divine, l'église enregistre un fort regain de ferveur. "Ora e labora", cette vieille antienne, qui nous vient de Saint Benoît, semble toujours d'actualité !

C'est, malheureusement, au cours de cette même année qu'un événement dramatique va toucher la famille. Le 3 février, sur la place du village, une rixe survient entre deux clans dans lesquels s'opposent, entre autres, des Gheno, des Pianaro et Gio Battista le seul cousin germain de Giovanni. Au cours de cette rixe un Gheno est tué.

L'affaire n'en reste pas là et rebondit toujours aussi dramatiquement. Le 5 avril, cette fois, c'est Gio Batta, le propre frère de Giovanni qui va y laisser sa peau.

Le 10 avril une "concorde" est enfin signée entre les parties, mais devant notaire, après "moult embrassades, accolades avec une foi sincère et vraie de construire une bonne et inviolable paix". Il y a tout de même une amende prévue de 200 ducats pour celui qui viendrait à rompre cette paix. Par ailleurs, 10 lires sont versées à feu Gio Batta avec renoncement des poursuites judiciaires engagées contre Gio Batta Gheno. Il est question dans cette rixe d'arquebuse, d'insultes, etc... mais on ignore malheureusement les raisons de cette bien triste affaire.

On trouve, dans ce conflit, des Gheno dans les deux clans, ce qui ne semblait pas être le cas dans l'affrontement de 1576. S'agirait-il des suites, 56 ans après, de ce premier conflit ? On sait, aujourd'hui encore, dans nos campagnes combien durent ces haines héréditaires. Le poids des ans est passé sur tout ça mais de tels faits illustrent bien les difficultés concrètes de cohabitation régnant dans ces périodes difficiles.

Quelques années ramènent un peu de calme et l'été 1637 est torride. L'été suivant, la chaleur a gagné les esprits et comme les carbonai de Solagna n'en font qu'à leur tête dans les bois, les villageois de San Nazario vont faire la grève des impôts communaux. Essayez donc aujourd'hui...

Le 5 août 1638, Valstagna crée l' "Octave de Pâques" avec la procession des "anzoetti", les angelots, qui entourent la vierge. Cette coutume va durer deux siècles, elle a été instituée pour célébrer la fin de la peste dite "des fiancés" qui semble avoir épargné le village.

Quelle que soit le nom qu'on donne à la peste, et celui-ci est particulier, elle n'en garde pas moins son horrible silhouette de faucheuse enveloppée dans des relents de pourriture. On disait qu'Henri IV, le vert galant, produisait du sillage, la peste aussi mais c'était un fumet de mort.

Et notre Giovanni dans tout çà ? Cette désastreuse période ne lui a pas permis de se marier. Il a dû attendre un ciel plus clément et des temps plus propices pour convoler. C'est donc le 21 février 1640, à 35 ans (il a dû probablement enfouir bien profondément sa libido), qu'il prend pour épouse Antonia... Dalla Zuanna ! Fait amusant, les origines familiales communes sont maintenant lointaines et les problèmes de consanguinité ne se posent plus. De plus, sa maman Elisabetta est une Giacoppo et la maman de sa jeune femme est également une Giacoppo. Comme çà, on reste en famille.

Cette année là, un nouveau type de conflit surgit dans la vallée, opposant les transporteurs de bois sur le Brenta et les "industriels" qui mettent en place des dérivations afin d'acheminer l'eau jusqu'à leurs moulins pour les faire tourner. Il en résulte un étiage insuffisant pour la flottaison et ces conflits vont envenimer l'atmosphère pendant des dizaines d'années avant que ne soient trouvées des solutions satisfaisant toutes les parties concernées. Il fallut, évidemment, beaucoup d'obstination aux zattieri pour faire valoir leurs droits d'antériorité contre les riches "industriels".

Un petit Gio Antonio vient bénir l'union de Giovanni et d'Elisabetta l'année suivante mais, hélas, il ne vivra que deux mois.

Comme il semble ne pas y avoir assez de problèmes entre Solagna et San Nazario, c'est maintenant autour du culte de Saint Georges qu'on se dispute...

Le climat de violence est toujours présent et Valstagna va compter un mort suite à une prise d'otages de chèvres (si aujourd'hui on se contentait de chèvres !). Dans la maison de Giovanni, on fête la naissance de Gio Battista qui apporte de la joie dans un couple qui a dû se marier tard, perdu son premier enfant et cherche à vivre en paix dans cette époque troublée. Il travaille dur et comme on disait "des étoiles aux étoiles", notre célèbre "Martine" nationale ne viendra que plus tard.

Deux ans après, en 1645, survient la naissance de Gio Antonio, qui vient remplacer (comme si cela était possible) le premier né et qui, comme lui et selon l'antique tradition, porte le nom de son grand-père. L'Eglise rappelle cette année à tous les paroissiens que le denier du clergé n'est pas une offrande mais un dû !

La charité, ce sont des économies mises de côté pour l'audelà ! On ne connaît pas les moyens de coercition employés mais il est question de mise en exécution d'un jugement.

On disait aussi : "messe écoutée, journée gagnée".

 

1649 - Toujours la famine.

Une nouvelle famine va s'étendre sur la région, en l'an de grâce (?) 1649. Que dire de plus sur le sujet, cette alternance de guerres, conflits, litiges, famines, épidémies "pesteuses ou non", inondations, sècheresses, éprouve tout le monde et seule l'espérance profonde d'un monde meilleur, mais dans l'au-delà, aide à tenir vaille que vaille. On comprend que la religion ait un tel poids pour tous ces pauvres gens qui luttent en permanence afin de protéger la famille. On se repose volontiers dans l'ombre propice des églises pour adoucir un peu l'extrême dureté des temps.

Malgaretta et Domenico vont étoffer cette famille, puis, Maddalena pour un bref passage, et enfin Bernardino, en 1656.

En 1652, survient encore un hiver désastreux avec des routes bloquées par la neige, des toitures effondrées...

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